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18 novembre 1918. Après quarante-huit ans d'oppression, la victoire rend l'Alsace à la France. À Colmar, une foule en délire célèbre sa libération. C'est aussi l'anniversaire de l'aubergiste Fin Bec qui en profite pour fêter les deux événements. À soixante-quinze ans, son coeur a gardé sa jeunesse. Il aime encore les femmes et reste sensible à ses ravissantes nièces, veuves de guerre, qui ont chacune un bébé qu'elles poussent dans un landau au jardin public. Deux militaires engagent la conversation: Jacques et Georges, encore auréolés du prestige des poilus, leur font une cour assidue. Elles sont faciles à séduire. En cette après-guerre, tout est en place pour que les survivants savourent la douceur de la paix. Dans ce livre, comme dans les précédents, la joie l'emporte et les violons des années folles entraînent les personnages dans une farandole endiablée. Mais le vent de l'Histoire se lève de nouveau. Le roulement des tambours couvre le chant des violons. Les morts du récent carnage sont à peine ensevelis que déjà se prépare un nouvel holocauste. L'Alsace résonne du vacarme des excavatrices qui creusent la ligne Maginot

A travers les situations les plus cocasses, en compagnie de "jeunes démons et de petites diablesses, de joyeux tontons et d'une grand-mère kugelhopf, non sans oublier un ami cheval et d'autres copains chiens", le Hans du Florival, autrement dit Jean Egen lui-même, conte son enfance. Son humour en fait un petit bréviaire malicieux et intelligent de l'Alsacien tel qu'en lui-même.

S'il est un peuple que l'Histoire a roulé dans ses vagues, c'est bien le peuple alsacien. La famille Freyburger, dont la saga se poursuit dans ce livre, la voit de nouveau déferler sur elle. Louis, son patriarche, est particulièrement choyé. La guerre de 1870 lui a enlevé son père et en a fait un Allemand. La victoire de 1918 lui rend sa patrie mais la mort de ses fils et de huit millions d'hommes tempère sa joie de se retrouver français. Son instinct d'Alsacien l'avertit que ce n'est pas fini et qu'un troisième holocauste lui plantera de nouveaux couteaux dans le coeur.Voilà qui laisse présager un livre douloureux. Mais pas du tout. Dans ce roman, comme dans le précédent, la gaîté sourd de toutes parts. L'amour unit des êtres que séparent les haines les plus farouches et le patriotisme le plus intransigeant. Si les coups reçus dans les batailles déciment la famille, les caresses échangées dans les lits la reconstituent et font surgir de nouveaux héros qui combattent le tragique alsacien par une joie de vivre plus alsacienne encore. Car l'Alsace est au coeur du livre comme une auberge pleine de chansons et de rires où, s'il est permis de parodier une célèbre inscription, on laisse toute désespérance en entrant.

Jean l'Alsacien adore la France mais les Français l'ont parfois repoussé. Il n'aime guère les Allemands mais l'Allemagne l'a toujours attiré. Son grand-père Jean-Baptiste a combattu sous Mac-Mahon, son oncle Jules était poilu de Verdun, son oncle Louis portait le casque à pointe, son cousin Hubert est mort en blouson de maquisard, son cousin Pierre en uniforme de la Kriegsmarine, son cousin Camille en droguet de déporté, c'était comme ça dans cette sacrée province, on changeait constamment d'uniforme. Certes, il y avait aussi le costume régional que portent encore les serveurs de brasserie et les groupes folkloriques mais Jean le trouve beaucoup trop boutonné. Alors il a choisi la seule tenue qui ne cache rien : il se présente tout nu. Français du côté face, un peu teuton du côté pile et, pour ce qui est de l'âme ou de l'intérieur, cent pour cent alsacien. On peut même ajouter, puisque les temps y invitent, européen. Car si l'histoire déferle sur la famille de Jean comme les vagues sur le rocher, le rocher demeure insubmersible et la famille n'attend pas que l'Histoire se calme pour retrouver le bonheur sous les tilleuls. Dans ce livre qui commence dans la liesse d'un repas de funérailles, le malheur a beau rôder entre les lignes et parfois s'étaler en pleine page, c'est toujours la gaieté qui l'emporte. Il faut dire qu'elle sort naturellement du coeur de l'Alsacien.

C'est la saga d'une famille alsacienne qui commence avec ce livre. Son patriarche, Louis Freyburger, a vécu 96 ans. Né français, il connaît, sous Napoléon III, la plus heureuse des enfances. La défaite de 1870 en fait un Allemand qui vit, sous le Kaiser Guillaume, la plus mouvementée des jeunesses. Vers le milieu de son âge, la victoire de 1918 le rend à la France et au fragile bonheur des citoyens de la IIIe République. La défaite de 1940 en refait un Allemand et livre sa vieillesse à l'oppression nazie. La victoire de 1945 lui rend sa nationalité première et c'est en Français qu'il entrera dans le royaume des ombres. Où il retrouvera le père, les fils et les petits-fils que les trois guerres lui ont successivement arrachés. Mais l'histoire et les hommes ont beau s'acharner à faire le malheur de l'Alsace, les dieux et la géographie ont donné le goût du bonheur aux Alsaciens. N'en déplaise aux autres compatriotes de Rabelais, la sagesse qu'ils vendangent aux treilles de leurs vignes en fait les plus gais lurons de l'Hexagone, pour ne pas dire de la planète. Autour de Louis Freyburger gravitent des personnages comme Tonton Fin Bec, Tonton l'Hirondelle, Emma la main chaude, le sabreur Forbanski, le cheval Canrobert ou le merle Forban Fils, dont la truculence ou la drôlerie font de ce livre où rôde la mort un hymne à la joie de vivre.